Une nouvelle étude publiée dans Demographic Research par des chercheurs de l'Ined, de l'Université de Montréal et de l'Inserm enrichit l'état des connaissances sur la question de la longévité humaine. Leur analyse, qui utilise les données françaises rassemblées dans la Base de données internationale sur la longévité (IDL) développée actuellement par l'Ined, ne confirme pas l'existence d'un « plateau » de mortalité à des âges extrêmes chez les humains.
En 2016, des généticiens avaient publié un article dans Nature suggérant que la longévité humaine était limitée à 115 ans environ (Dong et al., 2016). Deux ans plus tard, en 2018, des démographes utilisant des données italiennes suggéraient au contraire dans Science qu'il n'y avait pas de limites formelles à la longévité (Barbi et al. 2018). Ils constataient des taux de mortalité essentiellement constants au-delà de 105 ans et soutenaient donc l'existence d'un « plateau de mortalité » à partir de cet âge chez les humains (figure 1). L'existence de ce plateau signifierait que, passés 105 ans, les taux de mortalité cessent de dépendre de l'âge et restent les mêmes quel que soit l'âge. Cela impliquerait qu'il n'y a pas de limites strictes à la longévité humaine, les valeurs les plus élevées observées ne dépendant que du nombre des personnes atteignant l'âge de ce plateau.
De nouvelles données
La nouvelle étude publiée dans Demographic Research utilise les données riches et exceptionnellement fiables issues d'IDL (voir encadré) pour répliquer l'étude italienne de 2018 sur la population française. Celle-ci ne confirme pas les résultats italiens mais suggère au contraire une augmentation des taux de mortalité au-delà de 105 ans, sans aucun indice en faveur d'un plateau de mortalité. Les auteurs confirment un désavantage significatif pour les hommes en termes de mortalité, mais ne mettent en évidence aucun effet de l'année de naissance sur les résultats (figure 2). Ils invitent donc à poursuivre la collecte de données pour des études ultérieures et à se garder de toute conclusion hâtive sur la mortalité aux âges extrêmes.
L’Ined coordonne le développement de la base de données internationale IDL. Cette base contient des données individuelles vérifiées de près de 20 000 personnes décédées à 105 ans ou plus dans 13 pays du monde et a pour objectif de permettre à terme une mesure exacte de la mortalité aux âges très élevés. www.supercentenarians.org
Note de lecture :
La courbe de mortalité des femmes estimée uniquement d’après les données empiriques (en rouge) est plus proche de celle générée avec l’hypothèse d’une croissance exponentielle de la mortalité (en bleu) que de celle obtenue avec l’hypothèse d’un risque constant (en vert). Cette dernière n’est même pas incluse dans les intervalles de confiance aux plus grands âges (en pointillés rouges).
Dans le cas de la population masculine (où le nombre de survivants au-delà de 105 ans est moins d’un dixième de celui des femmes), les intervalles de confiance s’élargissent beaucoup plus dès les plus jeunes âges. Les deux courbes basées sur les deux hypothèses (croissance exponentielle du risque – en bleu, et risque constant – en vert) sont très proches l’une de l’autre et recouvrent également la courbe des données empiriques aux plus jeunes âges (avant l’âge de 108 ans environ). Cependant, au-delà de cet âge, comme pour les femmes, c’est la courbe correspondant à l’hypothèse d’une croissance exponentielle de la mortalité qui est la plus proche des données empiriques masculines.
Légendes :
Note de lecture :
Si l’on admet que la mortalité est un processus continu où les, avec l'âge, la vitalité de l'être humain s’affaiblit progressivement, le modèle le plus pertinent est celui correspondant à une trajectoire de mortalité aux âges élevées en continuité avec celle observée aux âges plus jeunes. Un simple coup d’œil permet de comparer la trajectoire de la mortalité ainsi estimée avec les deux hypothèses (celle correspondant à un risque de mortalité constant et celle correspondant à une croissance exponentielle au-delà de 105 ans). Les données de mortalité de la France avant 105 ans, plus précisément entre 90 et 105 ans, proviennent de la Human Mortality Database (HMD), dont l’Ined est partenaire.
Les lignes rouges (estimations avec l'hypothèse d'une croissance exponentielle de type Gompertz) s'inscrivent visiblement mieux dans le prolongement de la trajectoire de mortalité tracée à partir des données de HMD que celles ajustées avec l'hypothèse d’un plateau de mortalité. Cette observation confirme l’analyse statistique sur la mortalité au-delà de 105 ans présentée dans l’article.
Pour en savoir plus :
Dang L.H.K., Camarda, C. G., Ouellette, N., Meslé, F., Robine, J.-M. and Vallin, J. (2023). The question of the human mortality plateau: Contrasting insights by longevity pioneers. Demographic Research, 48: 321–338.
DOI : 10.4054/DemRes.2023.48.11
Article publié dans une revue scientifique référencée par les instances d’évaluation
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