CapGéris
Entre le 26 mars et le 8 avril dernier, vous avez lancé pour la deuxième année consécutive une grande campagne d'information sur les métiers du grand âge. Quel en était l'objectif ?
Philippe BAS
Nous avons en matière de prise en charge du grand âge plusieurs défis à relever car les besoins sont considérables, en termes de soins, d'accueil et bien sûr en termes d'emploi. Dans les 10 ans à venir, en raison de ces besoins et des départs en retraite, nous devrons recruter 400 000 professionnels, à domicile ou en établissement, là où nous en recrutons moitié moins aujourd'hui. Nous devons parallèlement rendre les métiers plus attractifs et offrir de vrais parcours de carrière.
Plusieurs actions ont déjà été menées : parution en mars dernier du décret rénovant le diplôme d'aides médico-psychologiques, augmentation des quotas de formation des infirmiers et des aides-soignants et maintien de ces quotas dans les années à venir. Ainsi, les quotas de formation des infirmiers (26 436 entrées en formation pour l'année 2002) ont été portés à 30 000 depuis 2003 : ils permettent l'entrée sur le marché du travail d'un plus grand nombre de professionnels formés. Même volonté pour les aides-soignants, avec un quota de 20 000 depuis l'année 2002, au lieu de 13 000 les années précédentes. De plus, l'ouverture de la formation de ces derniers à l'alternance, l'encouragement de l'apprentissage et la mise en place, depuis 2005, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) pour l'obtention du diplôme d'aide-soignant doit permettre à de nombreux professionnels confirmés d'obtenir ce diplôme dans des délais rapides.
CapGéris
Comment expliquez-vous aujourd'hui l'insuffisance en personnel dans le secteur sanitaire et social ?
Philippe BAS
Les métiers du sanitaire et du social vont voir partir à la retraite la moitié de leurs effectifs à l'horizon 2012, alors même que ce sont des secteurs en expansion, particulièrement le secteur médico-social. Les personnes âgées, dont le nombre va augmenter considérablement, veulent avoir le libre choix entre soins et services à domicile et accueil en établissement. Le plan « Solidarité grand âge affirme de nouvelles ambitions pour répondre à leurs besoins. Il doit évidemment s'accompagner d'un effort en matière d'emplois, tant en termes d'information et de valorisation de ces métiers du grand âge qu'en termes d'amélioration des carrières proposées. Ces métiers sont trop souvent méconnus ou souffrent d'une fausse image. C'est pourquoi nous avons renouvelé cette année la campagne en faveur des métiers du grand âge, en cherchant à attirer les jeunes.
CapGéris
Pensez-vous que les métiers du social soient mésestimés ?
Philippe BAS
Comme je vous le disais, ils sont surtout méconnus. De plus, l'action engagée pour moderniser ces diplômes est récente : 2002 pour les auxiliaires de vie sociale, 2005 pour l'ouverture à la VAE des métiers d'aides soignants, 2006 pour ceux des aides médico-psychologiques. Il faut corriger les idées reçues sur ces métiers, les faire connaître notamment aux plus jeunes et bien informer sur les vrais potentiels de carrière qu'ils offrent. De plus, les métiers d'aide à la personne ne sont pas délocalisables, ce qui est un argument important dans le contexte de la mondialisation.
CapGéris
Quel conseil donneriez-vous aux personnes désireuses de s'engager dans une carrière du secteur sanitaire et social ?
Philippe BAS
Qu'elles n'hésitent pas à aller à la rencontre des professionnels qui travaillent auprès des personnes âgées, à discuter avec eux, à profiter d'un job d'été, d'un stage pour comprendre la réalité mais aussi la richesse de ces métiers. Ce sont des métiers de l'humain, des métiers de contact. Il ne faut pas hésiter à poser des questions, à se renseigner.
Les centres d'information jeunesse, les ANPE, les directions régionales de l'action sanitaire et sociale peuvent donner toute l'information nécessaire sur ces métiers du « grand âge », leurs débouchés, les carrières, les salaires... Ce sont des métiers de responsabilité, parfois exigeants mais très attachants.
CapGéris
Le plan Vieillissement et Solidarité lancé fin 2003 prévoyait la création de 21.000 emplois dans le secteur sanitaire et social d'ici à 2007. A ce jour, à combien estimez-vous le nombre d'embauches effectives ?
Philippe BAS
Les objectifs sont dépassés, puisque à fin 2005, 29 000 recrutements, dont 5000 infirmiers, étaient effectifs. Et c'est normal, puisque le rythme de création de places a doublé par rapport à ce qui était initialement prévu.
CapGéris
Etes-vous inquiet eu égard à la capacité de la France à gérer le vieillissement de sa population ?
Philippe BAS
Je ne suis pas inquiet, je suis déterminé. Nous agissons pour relever ce défi du vieillissement. Par ailleurs, nous sommes vieux de plus en plus tard ! je veux dire que la dépendance à chaque âge recule et reculera encore avec les années. Nous nous donnons les moyens de faire face à ce défi, grâce au plan « Solidarité grand âge » annoncé par le Premier ministre. Sur cinq ans, ce sont près de 3 milliards d'euros supplémentaires que nous consacrerons à la prise en charge du grand âge.
CapGéris
Selon vous, quelles réformes supplémentaires pourraient être envisagées ou engagées afin d'améliorer la qualité de vie et la prise en charge des personnes âgées ?
Philippe BAS
Le plan Solidarité grand âge prévoit trois grands axes de réforme :
-Permettre le maintien à domicile des personnes âgées ; en renforçant les aides ménagères, en soutenant les aidants familiaux, en créant un véritable « droit au répit », par l'accélération de la création des places de services de soins infirmiers à domicile. -Aménager, pour les personnes âgées qui ne peuvent rester chez elles, une transition « douce » entre le domicile et l'établissement ; en renforçant les plates-formes multi-services, en permettant aux établissements de gérer eux mêmes leur service de soins, en créant des formules intermédiaires de prise en charge, de type « résidence services » ou accueil familial collectif. -Poursuivre la médicalisation des établissements les plus lourds, en renforçant le personnel qui y travaille.CapGéris
D'un côté, le maintien à domicile, de l'autre, les maisons de retraite. Quel axe allez-vous favoriser ?
Philippe BAS
Je veux offrir le libre choix aux personnes âgées et à leurs famille, entre le domicile et les établissements, en évitant justement le « tout domicile » ou le « tout établissement ». C'est tout l'enjeu du plan « Solidarité grand âge », qui crée des formules intermédiaires de prise en charge et assure une continuité entre les deux.
CapGéris
Existe t-il des mesures concrètes pour faciliter et améliorer l'accueil en maison de retraite (animation, chambre individuelle, médicalisation...)
Philippe BAS
Renforcer la médicalisation, c'est permettre que davantage de personnel soit présent pour s'occuper des personnes âgées. Le cahier des charges des établissements est très concret et fixe des normes de taille de chambres qui ont permis de moderniser nos établissements. Et le plan d'investissement de 500 millions d'euros que j'ai décidé cette année permet d'accélérer l'humanisation des maisons de retraite et d'accueil de personnes handicapées
CapGéris
L'augmentation du nombre de lits en maison de retraite passe par de très gros investissements. Les départements peinent à financer les conventions tripartites des EHPAD avec pour conséquence une limitation ou un ralentissement des dossiers de création d'établissements. N'y a t-il pas un décalage entre l'objectif de votre ministère et les moyens mis en place sur le terrain ?
Philippe BAS
Je ne partage pas ce constat. Les moyens décidés sont immédiatement délégués aux services déconcentrés. Il n'y a pas de difficulté pour financer la médicalisation des établissements par l'intermédiaire des conventions tripartites. Aujourd'hui plus de 70% des places sont médicalisées.
Par ailleurs, nous avons accéléré le rythme de création de places. Nous en créons 5000 par an et nous continuerons dans les années à venir. Ce que nous devons faire également, c'est clarifier les critères de création de places. C'est à dire rendre plus équitable la création de places sur le territoire et la mettre en corrélation avec un faisceau de critères, parmi lesquels le taux d'équipement en places d'établissements, l'existence de places de services de soins infirmiers à domicile, la présence de professionnels libéraux mais aussi les pratiques de vie et notamment la solidarité familiale qui s'exerce différemment d'une région sur l'autre. La Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie fait un travail remarquable en la matière.CapGéris
Votre pire souvenir en tant que ministre ?
Philippe BAS
La détresse d'une mère face à son enfant autiste.
CapGéris
Et, bien évidemment, votre meilleur souvenir ?
Philippe BAS
Le sourire d'un malade d'Alzheimer dans l'échange de nos deux regards.
CapGéris
Un dernier mot pour nos lecteurs.
Philippe BAS
N'oublions pas que la révolution de la longévité ne s'accompagne pas nécessairement de la dépendance : déjà, aujourd'hui, les deux tiers des nonagénaires sont autonomes. L'important, pour le grand âge, c'est aussi le projet de vie, comme pour toutes les générations. Il y a désormais un nouvel âge actif qu'aucune génération n'a jamais connu. Et il y a aussi une capacité médicale et sociale à prévenir et à prendre en charge la grande dépendance liée au grand âge qui est sans précédent dans notre histoire. C'est donc avant tout un message d'optimisme lucide et de volontarisme actif que je voudrais faire partager.
CapGéris
Monsieur le Ministre , merci !
Interviews au cœur des maisons de retraite