CAPGERIS
Tout d’abord quel est l’objet principal de votre association?
Mohammed Malki
Accordages est une association Loi 1901 fondée en janvier 2000 par un groupe d’amis et de collaborateurs et moi-même, tous engagés en faveur des liens d’échange, de rencontre et de solidarité entre les générations. Accordages a pour objectif de favoriser la culturalisation de la démarche intergénérationnelle dans tous les domaines de la vie en société, la qualité des réalisations grâce à une montée en compétences des acteurs et la mise en réseau des expériences, des savoirs faire et des acteurs concernés.
Nous intervenons à la demande d’acteurs divers, communes, Ccas, maisons de retraite, associations, entreprises pour les accompagner dans leur réflexion stratégique, dans le montage de projets, leur mise en œuvre. Nous organisons et animons des rencontres, colloques et salons dédié à l’inter génération et enfin, nous animons un site Internet de diffusion de l’information, une sorte de plate-forme d’un réseau d’acteurs dans le domaine.
CAPGERIS
Quelles sont les principales raisons, qui vous ont poussé à la création de cette association?
Mohammed Malki
D’abord le discours sur le vieillissement qui est souvent catastrophique qui stigmatise les personnes âgées. Ensuite, le constat de l’insuffisance des actions habituellement proposées aux seniors qui souvent les enferment dans leur groupe d’âge plus qu’elles favorisent leur intégration et leur participation à la vie sociale. Ces deux constats sont en opposition avec les évolutions réelles de la longévité qui nous permet de vivre longtemps et en bonne santé.
Enfin, l’analyse des initiatives dites intergénérationnelles, en rupture avec de ces deux constats, nous paraissaient une démarche innovante et porteuse.
Cependant, elle n’était pas suffisamment reconnue, notamment par les décideurs et les gestionnaires de services, qui manquaient d’éléments d’analyse et de visibilité sur la pertinence d’une telle démarche et sur ses capacités de répondre aux besoins sociaux.
Plusieurs raisons sont en jeu : d’abord, sa jeunesse et son originalité, mais surtout le fait que les actions sont souvent ponctuelles, centrés sur la convivialité, sans véritablement d’effets structurants sur les publics ciblés, leurs modes de vie et relations au quotidien, sur les clivages institutionnels et sectoriels existants et qui perdurent toujours, sur l’environnement urbain, social et culturel qui ne favorise pas la rencontre, l’échange et le vivre ensemble des générations. Enfin, les actions sont souvent locales et leurs porteurs éparpillés, ce qui ne favorisait pas la diffusion de l’information et l’échange d’expériences et de savoir faire. Tous ces constats sont autant d’obstacles à la culturalisation de la démarche intergénérationnelle et à la montée en puissance des compétences et de la qualité des réalisations.
CAPGERIS
Quelles activités, favorisant les liens intergénérationnels, propose votre association?
Mohammed Malki
Nous intervenons souvent à la demande d’acteurs locaux ou de têtes de réseaux thématiques. Donc, nous travaillons à partir de leurs préoccupations. Toutes les activités peuvent être des supports et des opportunités de créer des liens entre générations. C’est la manière de les concevoir, les monter, les organiser et les animer qui fait la différence. Par exemple, un thé dansant, il peut être conçu comme un lieu d’enfermement des personnes âgées sur leur groupe d’âge comme un moment de rencontre avec des publics plus jeunes, un centre de loisirs et un services d’animation retraités peuvent continuer de s’ignorer, chacun dans son quant à soi, comme ils peuvent travailler ensemble autour de projets communs, autrement plus excitants et porteurs de liens. On peut dire autant sur les conseils des sages et des jeunes, de l’action culturelle, des missions locales, des espaces publics numériques, de l’habitat, des services sociaux, etc.
CAPGERIS
Quelles sont les principales difficultés, que vous rencontrez dans la mise en œuvre des projets intergénérationnels ?
Mohammed Malki
Quant la volonté existe, je vise les élus, institutions et gestionnaires de services, la première difficulté vient des publics eux-mêmes, peu habitués à se rencontrer, échanger et coopérer ensemble autour d’un bien commun. Un travail pédagogique devient nécessaire. Mais en général, cela marche bien. Un second problème,, autrement plus compliqué, est lié à la spécialisation des professionnels et parfois malheureusement des associations, par type de publics, qui résistent fortement à toute démarche d’ouverture et d’innovation en raison d’habitudes de travail et parfois d’un sentiment de crainte de perte d’identité.
CAPGERIS
Selon vous, quels sont les principaux apports humains et sociaux, que procurent les activités intergénérationnelles?
Mohammed Malki
Bien sûr, toutes actions qui mettent en lien des personnes d’âges différents agissent sur les représentations et préjugés des uns sur les autres, permettent de mieux se connaître, de se projeter dans le temps dans un sens comme dans l’autre. Mais plus concrètement, ces actions en raison de leurs domaines d’action, problématiques en jeu, objectifs opérationnels et du contexte local, elles permettent aux uns et aux autres de tirer des bénéfices concrets : soutien scolaire, accompagnement de projets professionnels de jeune, médiation sociale, lutte contre l’isolement, pratiques artistiques et culturels, loisirs découverte, initiation aux TIC, etc. Enfin, au-delà des individus qui y participent, ces actions apportent une aide à leur entourage familial, sont en synergie avec les pouvoirs publics et acteurs locaux concernés et plus globalement produisent une valeur ajoutée à l’échelle de toute la société.
CAPGERIS
Quels sont les principaux projets en cours, de votre association?
Mohammed Malki
Un premier qui nous mobilise beaucoup, il s’agit d’organiser des « collectifs des aînés » dans certains sites socio-urbains où vivent des migrants âgés qui sont inorganisés, méconnus par les services et associations, et invisibles socialement alors même qu’ils sont confrontés à de nombreuses difficultés dans leur vie quotidienne. L’objectif est d’en créer cinq en Ile de France avec deux principes de base : mixité des genres et des cultures. Les collectifs doivent représenter l’ensemble des aînés de leurs sites. Le collectif des aînés de Mantes la Jolie fonctionne bien, nous venons de démarrer un nouveau aux Mureaux, des villes comme Bagnolet et Sarcelles sont également intéressées.
Nous lançons en région encore, un nouveau projet : Forum de l’intergénération en Ile de France qui aura lieu tous les deux ans, chaque édition sera centrée sur un thème fort. Le prochain, en 2008, est dédié à la question de « l’isolement des personnes âgées, le rôle des réseaux de sociabilité et de solidarité de proximité». Nous réalisons actuellement un état des lieux avec repérage des actions existantes qui servira à l’organisation du Forum (conférences, tables rondes, présentation des meilleures actions, stands d’information), et d’une formation-action pour lancer 15 nouveaux projets.
Enfin, suite au succès de notre site Internet créer en 2004, nous avons pu cristalliser un large réseau d’acteurs et de partenaires autour de l’intergénération, nous souhaitons lancer en partenariat avec l’Odissée, un réseau réel et actif qui puisse accompagner la montée en puissance de l’intergénération en France. Ce réseau sera un lieu de réflexion et d’action avec des outils divers : rencontres nationales, rencontres en régions, portail numérique, formations, études, publications, lancement de projets fédérateurs.
CAPGERIS
Vous proposez des formations, qui consiste à former des personnes souhaitant monter « un projet intergénérationnelle » mais tout d’abord qu’entendez vous par projet intergénérationnel?
Mohammed Malki
Bien sûr le terme de « génération » n’a pas le même sens selon les disciplines et dans le discours social, de même que notre société n’est pas organisée selon un modèle générationnel institutionnel, et les dites générations ne sont pas homogènes dans leurs vécu, modes de vie, pratiques, représentations, etc. Nous n’essayons pas d’être plus malins que les autres en prétendant donner une définition définitive. Nous partons de la diversité des réalités concrètes et nous proposons des projets qui favorisent des publics d’âges différents qui n’ont pas l’habitude de se rencontrer autour de pratiques et d’actions communes en faisant jouer leur proximité (générations proches) ou leur distance (générations alternées). L’objectif pour nous est d’abord d’identifier un besoin, proposer une offre pour y répondre, définir les groupes d’âges qui répondent au mieux à la situation et aux objectifs, en faisant jouer les complémentarités, la réciprocité, le partage et les solidarités entre eux.
CAPGERIS
Et comment se passe cette formation? A qui s’adresse-t-elle?
Mohammed Malki
Nous avons créer un module généraliste qui combine à la fois des apports théoriques, l’analyse de bonnes pratiques et des outils méthodologiques. Cette formation est destinée à tous les acteurs concernés (élus locaux, gestionnaires de services, animateurs, associatifs). Des stages sur inscription individuelle sont proposés et nous travaillons surtout en partenariat avec des têtes de réseaux (ex. Léo Lagrange - éducation populaire, ACLAP - association d’aide aux personnes âgées), des gestionnaires de maison de retraite comme Korian, de services petite enfance (IFAC - PACA), des écoles et instituts de formation (INTEP Midi-Pyrénées, IFCAAD Alsace)
CAPGERIS
Votre action semble être principalement concentrée en île de France, possédez vous des relais en dehors de la région parisienne?
Mohammed Malki
Nous travaillons essentiellement avec des partenaires en Province qui nous sollicitent pour les accompagner dans leurs réflexions stratégique ou thématique et dans la conception de leurs projets, et nous co-organisons régulièrement des rencontres et forums avec de nombreux partenaires un peu partout en France.
CAPGERIS
Votre association, l‘association odyssée et une dizaine d’acteurs se sont constitués en « comité intergénérationnel » Comment se déroule la collaboration et la coopération avec vos partenaires ?
Mohammed Malki
Nous partageons tous le constat de la nécessité de nous organiser en réseau réel et actif pour mieux légitimer et faire reconnaître la démarche intergénérationnelle, pour échanger nos expériences et savoir faire, pour favoriser la montée en puissance de nos compétences et de la qualité de nos projets, pour nous fédérer autour de projets communs plus puissant et pour agir auprès des décideurs politiques, institutionnels et financiers afin de mieux soutenir les projets.
Dans ce cadre, et avec l’appui de l’Odissée, nous avons réuni un comité préparatoire afin de partager nos réflexions, analyses, savoir faire, attentes et potentiels d’action en vue du lancement du réseau national. Ce comité est à ce jour un lieu informel, ouvert à tous, même si nous sommes conscients de sa faible représentativité, trop centré sur la région pour des raisons pratiques.
Nous ne s’arrêterons pas sur ces limites, le moment venu, il y aura l’occasion d’élargir le comité à toutes les régions.
CAPGERIS
Pouvez vous nous parlez brièvement de la dernière réunion de ce comité intergénérationnel ? (thèmes abordés, ordre du jour etc…)
Mohammed Malki
Une étape a été franchie la dernière réunion : nous souhaitons maintenant élargir la travail de réflexion, d’analyse et de propositions au plus grand nombre. Aussi, nous travaillons actuellement sur deux textes : un exposé des motifs et un questionnaire qui seront adressés en juillet ou septembre prochains à tous les acteurs concernés. Notre objectif est de les associer à la phase préparatoire de la constitution et du lancement du réseau.
CAPGERIS
Pouvez vous nous présentez l’ouvrage que vous avez réalisé sur l’intergénération: « une démarche de proximité » ?
Mohammed Malki
Il s’agit d’une commande qui m’a été faite par Hubert Falco, ancien secrétaire d’état aux personnes âgées, d’abord une étude état des lieux de l’intergénération, transformée en guide méthodologique à la demande de Catherine Vautrin qui l’a succédé et enfin, édité grâce à l’implication active de Philippe Bas en 2005.
Le guide fait un état des lieux des réalisations, proposent des éléments de définitions, présentent des actions pertinentes analysées, des outils méthodologiques allant de la phase diagnostic et montage jusqu’à l’évaluation, et enfin, on peut y trouver des informations sur les circuits administratifs et financiers, les centres de ressources, un bibliographie, une filmographie, etc.
CAPGERIS
Pensez-vous qu’en France, les liens intergénérationnels sont suffisamment développés ?
Mohammed Malki
Je ne crois pas que nous sommes en retard des autres pays européens ou anglo-saxons comme on le serait habituellement dans d’autres domaines. Peut-être certains pays ont su garder des traditions plus favorables aux liens entre les générations, eu des politiques publiques moins enfermées dans des catégories d’âges et laissé mieux que nous une plus grande la place à l’initiative de la société civile.
CAPGERIS
Quelles sont selon vous les efforts que doivent fournir les pouvoirs publics, en la matière ?
Mohammed Malki
Intégrer cette démarche transversale dans toutes les politiques publiques : toute action publique doit avoir le souci, bien sûr de répondre aux besoins sociaux, mais aussi de la nécessité de maintenir et de développer les liens entre les générations.
Soutenir les initiatives nationales et locales en agissant sur tous les leviers : politique, institutionnels, réglementaires et financiers. Les pouvoirs publics peuvent également jouer un rôle important dans la mise en réseau des acteurs, l’évaluation des pratiques, la production d’outils d’action, la valorisation des meilleures initiatives.
Interviews au cœur des maisons de retraite