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Vous êtes Présidente du Groupe CILIOPEE
Muriel BOULMIER
Le Groupe CILIOPÉE est une PME de 100 personnes, en Lot-et-Garonne, qui offre aux familles modestes des logements abordables, économes en énergie.
Notre entreprise est liée à son territoire rural et vieillissant. L'une de nos initiatives : un fonds d'adaptation du logement pour aider nos locataires âgés. Nos valeurs sont celles de la RSE, qui favorise transparence et partenariats ouverts sans obérer la performance économique.
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Pouvez-vous nous décrire votre parcours professionnel ?
Muriel BOULMIER
Des études de droit européen à Lyon, un doctorat de droit social à Bordeaux. Puis, j'ai pris la direction d'une TPE en Lot-et-Garonne qui est devenue la PME CILIOPÉE
J'ai toujours enrichi mon parcours de chef d'entreprise, d'engagements comme la Présidence de la CARSAT d'Aquitaine, ou la Vice-présidence du CESER d'Aquitaine, ou mon association Fées du Sport qui crée cet automne une école vélo seniors.
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Vous êtes experte Logement auprès du groupe de travail "Société et Vieillissement" mis en place dans le cadre du Débat national sur la Dépendance.
Muriel BOULMIER
Ma désignation au sein du Groupe de travail a montré l'intérêt que le débat portait au logement, jusque là peu associé. Je veux en remercier Madame la Ministre, Madame Roselyne BACHELOT, et Marie-Anne MONTCHAMP, Secrétaire d'Etat, mais aussi Annick MOREL, Présidente du Groupe qui a su intégrer ces éléments nouveaux au cours de nos douze réunions.
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Muriel BOULMIER
Ce rapport a été présenté en juin 2011, il alerte sur la nécessité pour tous d'accepter le vieillissement comme élément positif. J'espère que ce message sera entendu et le pari gagné. Aujourd'hui, on est loin du compte.
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Muriel BOULMIER
Je retiens plus particulièrement que le 1er thème du rapport concerne le « cadre de vie, l'habitat et le logement », visés comme un nouvel axe fort des politiques du bien vieillir chez soi et que le 2ème, qui m'est tout aussi cher, est le pari de la prévention au cœur des politiques. Enfin, je voudrais noter qu'Annick MOREL a su, avec le groupe, construire l'idée d'un socle opérationnel de la coordination autour des personnes et de leur famille. Ce propos a été retenu lors de la synthèse globale présentée par Roselyne BACHELOT.
Enfin, le groupe a retenu à l'unanimité la proposition 5 de mon second rapport : le transfert de crédit d'impôt ouvert aux personnes âgées, à leurs descendants qui financent les travaux d'adaptation, ce qui permet le maintien à domicile.
Il s'agit d'adapter l'art. 200 Quarter A du CGI dans un esprit de justice sociale (les revenus modestes des personnes âgées fragiles, notamment les femmes) et de justice fiscale (pour les classes moyennes que sont les enfants qui financent), avec un soutien à l'activité économique des professionnels et prestataires mais aussi à celle des artisans, indispensables dans le monde rural.
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Vous avez par ailleurs publié deux rapports ministériels intitulés :
Muriel BOULMIER
Depuis 2007, je travaillais au sein du CECODHAS HOUSING EUROPE qui regroupe 28 millions de logements et 62 millions d'habitants sur le sujet du vieillissement. Dans le cadre de la Présidence française de l'Union Européenne, j'ai rencontré Christine BOUTIN, Ministre du logement, qui m'a confiée début 2009 ma première mission sur les impacts de l'évolution démographique.
Je remercie Benoist APPARU, devenu Secrétaire d'Etat au logement, de m'avoir reçue pour lui présenter mes travaux en octobre 2009. Puis en fin d'année 2009, il m'a demandée de lui faire des propositions qui lient le vieillissement, l'habitat et les territoires. Je me suis attachée dans l'un et l'autre rapport à présenter des propositions négociées avec les professionnels et dont aucune ne sollicite une contribution publique supplémentaire.
Capgeris
Muriel BOULMIER
Après 150 auditions au cours de mes deux missions, j'ai nourri la conviction que l'adaptation des logements est un cadre raisonnable et efficace pour la prévention de la dépendance, notamment accidentelle. Sur les 31 millions de logements en France, seuls 28% ont moins de 25 ans et, dans les zones rurales, la moitié a été construite avant 1950.
Ajoutons à cela que si 74% des + de 60 ans sont propriétaires de leur logement, il est admis qu'être propriétaire ne veut pas dire être riche. L'enjeu de l'efficacité en nombre réside bien dans l'habitat existant. Les chiffres donnés par la MSA, la CNAV, l'ANAH et les autres acteurs montrent que la mise en confort et sécurité peut être évaluée autour de 4000 €.
Comparée au coût mensuel moyen d'un établissement (2200€/mois) ou encore à celui d'un déménagement (pour aller où et à quel prix), la valeur ajoutée de l'adaptation est nette.
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Muriel BOULMIER
L'adaptation au confort partagé par tous les âges ou, Design For All, est un objectif très intéressant qui peut être atteint parfois avec du bon sens et des équipements quotidiens comme la sonnette lumineuse, les mitigeurs, les chemins lumineux de la chambre aux toilettes, qui valent pour les personnes âgées comme pour les jeunes, etc...
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Muriel BOULMIER
L'habitat optimal est celui qui préserve la fluidité des 3 espaces que sont l'espace privé : le logement, l'espace partagé : les parties communes, l'espace public : la rue et le trottoir. Il permet de poursuivre l'activité au sein d'un environnement connu. Commerces et services sont idéalement situés dans un rayon de 500 mètres et les services à la personne, coordonnés. L'habitat optimal s'inscrit donc dans un ensemble, au-delà du logement.
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Bien vieillir à domicile : possibilité ou simple utopie ?
Muriel BOULMIER
Il peut y avoir autour du vieillissement des utopies mais vieillir à domicile est une réalité : 90% des + de 85 ans et un centenaire sur deux le font ! Ce choix qui va au-delà de la déclaration, est accessible sauf dans les cas de perte grave d'autonomie.
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Les chutes au domicile des personnes âgées sont bien une réalité.
Muriel BOULMIER
Incontestablement ! L'adaptation-prévention du logement est essentielle pour éviter les accidents domestiques, dont les chutes sont le fléau : 9 400 décès par an (plus du double des accidentés de la route), 134 000 incapacités avec les coûts induits.
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Muriel BOULMIER
L'adaptation nécessite de vaincre le déni de vieillesse qui est une résistance forte, de convaincre que le domicile considéré comme un cocon protecteur (« là où on est maître chez soi » dit Bernard Ennuyer) est en réalité un lieu de risques.
Le SYNALAM a récemment présenté une étude qui montre que non seulement la salle de bain est à surveiller, mais aussi les escaliers, l'éclairage...
Outre la résistance à adapter, la pudeur à solliciter l'aide financière des enfants est un frein.
Je pense qu'il faut oser solliciter au-delà des services professionnels sociaux, tous les repérages des personnes âgées qui peuvent être en difficulté sans avoir la conscience du risque, notamment en zone rurale : les élus ont un rôle déterminant mais aussi les artisans ou encore comme en Auvergne, les épiciers mis en réseau par la CRCI.
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Pouvez-vous nous décrire des expérimentations allant en ce sens et qui pourraient être déployées au plan national ?
Muriel BOULMIER
La deuxième partie de mon 1er rapport est consacrée aux expérimentations dans le parc social, très engagé, mais aussi dans le parc privé. Mon souhait est que chaque expérimentation soit reproductible et puise sa singularité dans l'intelligence de la réalisation car les financements expérimentaux ne permettent pas la duplication.
Je pense néanmoins à la CAPEB qui a mis en œuvre un concept Handibat, bien sûr un échange de savoir faire, et aussi à la grille de 1er diagnostic de risques de la CNC (Commission Nationale de Sécurité des consommateurs) et de l'ANSP ( l'Agence Nationale des Services a la Personne), gratuite et téléchargeable, à remplir en famille avec des propositions d'astuces, et enfin à la réflexion opérationnelle menée par l'ANAH dans son programme Habiter Mieux et le récent partenariat avec la CNAV : ce sont deux acteurs majeurs qui vont se compléter dans leurs actions respectives.
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Muriel BOULMIER
La 1ère difficulté pour une personne confrontée à cette situation est bien souvent ses revenus. Le revenu même des + de 60 ans est de 915 € et lorsque le patrimoine existe, il est de valeur inégale et souvent vieillissant. Le manque de coordination entre les différentes aides possibles laisse la personne désemparée et souvent la famille est sollicitée.
Je suggèrerais donc d'abord de ne pas hésiter à en parler : les élus, les voisins, le PACT, Habitat Développement, les associations... Les solutions sont parfois difficiles à trouver, mais elles existent. L'écueil est qu'elles peuvent être longues là où le temps est un luxe rare.
Je suis confiante parce que j'ai la conviction que le vieillissement démographique peut être un atout économique, source de nouveaux métiers ; que vieillir est une chance et que l'habitat fait partie des solutions pour répondre à la question « où est comment voulons-nous vieillir ? »
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