Madame la Ministre,
Pour vous situer mon environnement, je fais partie de ceux qu'on appelle aujourd'hui « les aidants » et dont on semble faire grand cas plus pour des raisons économiques que sociologiques ou humanistes. Je m'occupe seule depuis trois ans de mon époux paralysé suite à un AVC et je vis en Guadeloupe. Afin de ne pas sombrer dans la déprime, je me suis jointe un jour de septembre de l'an passé à un forum d'aidants sur internet. Ce forum pour des raisons qui n'ont pas lieu d'être détaillées aujourd'hui, a migré sur Facebook.
Parmi notre communauté virtuelle, une personne a en ce moment besoin d'aide plus que n'importe laquelle d'entre nous... et la seule chose que nous avons trouvé pour pouvoir l'aider est de diffuser à un maximum de média ou de sites « d'entraide » son histoire :
« Dominique, ma compagne depuis 36 ans a la maladie de Creutzfeld-Jacob. Elle est hospitalisée à notre domicile depuis le 12/09/2013/
Le diagnostic a été établi le 3/09/2013 avec toute la délicatesse de l'annonce par les médecins du service neurologique de l'hôpital d'Orléans ; à mes questions je n'ai reçu comme réponse que « mais madame, il n'y a pas de traitement, ça coûterait trop cher il n'y a pas assez de malades, il faut juste attendre la fin, cela peut durer entre 4 et 8 mois".
Ma compagne a d'abord perdu l'usage de ses jambes puis celui de ses mains. Elle a ensuite connu une phase de démence, puis en janvier dernier, elle a perdu l'usage de la parole. Ne plus savoir si elle a mal, ni ce qui se passe dans sa tête, ne pas pouvoir exprimer clairement ses ressentis est le deuil le plus difficile à supporter parmi tous ces deuils d'elle que j'ai eu à faire jusqu'à présent. Faire manger ma compagne me prend 12 heures par jour. La nuit lorsqu'elle dort j'assure les tâches du quotidien (ménage, lessive etc...) Les nuits sont encore plus cruelles que les jours mais lorsqu'elle dort, au moins je sais qu'elle ne souffre pas. Depuis un an je m'allonge vers 4h du matin sur le canapé pour rester près d'elle.
Depuis des mois, Dominique s'alimente de moins en moins, si bien qu'elle s'affaiblit dangereusement. Fin septembre, les médecins du service où elle était hospitalisée m'annoncent qu'ils ne poseront pas de sonde de gastrostomie, estimant que cela était incompatible avec sa pathologie. Je n'en revenais pas de cette annonce, alors que depuis des mois ils me demandaient de réfléchir à cette éventualité et que Dominique était hospitalisée dans ce service à cette intention.
Pendant une semaine j'ai fait chaque soir les 100 km pour rentrer à notre domicile pleine de peurs et d'angoisses sachant que ma compagne devient rapidement anxieuse lorsqu'elle n'est plus chez nous et que je ne suis pas à ses côtés. Quand, en colère, je leur ai demandé pourquoi on m'avait tenue en haleine depuis des mois pour ensuite nous refuser cette dernière chance, les médecins m'ont répondu « mais madame, l'espoir fait vivre, fallait bien qu'on vous laisse l'espoir !» et ça c'est cruel et terrible à entendre quand on vient de vous dire qu'en fait rien ne serait fait. J'ai hurlé de colère et d'indignation. Puis ils m'ont expliqué qu'on ne meurt pas de faim, que cela ne dure que deux jours.... quel mépris pour le malade, leur patiente, quel manque de délicatesse de parler ainsi à sa compagne depuis 36 ans !!!
Dominique est à nouveau chez nous, sans aucune possibilité de s'alimenter. Pas de sonde naso-gastrique ni de gastrostomie ni aucun autre soin envisagé. L'équipe HAD ne souhaitant plus nous suivre (ce qui portant relèverait de ses compétences) pour des logiques financières, ce sont désormais deux infirmières libérales qui passent matin et soir. Le SSIAD, contacté en urgence, a répondu que le cas était trop lourd pour eux. Le manque d'alimentation affaiblit considérablement Dominique, les médecins le constatent mais ne font rien. Aucun soin de type palliatif n'est envisagé pour elle. L'infirmière a clairement constaté hier que son état général se dégradait du fait de son manque d'alimentation. Je nous sens très seule, abandonnées à notre sort, sans soutien du monde médical. Je n'ai plus de forces, plus de courage, je passe mes journées assise à côté d'elle, à la masser pour l'apaiser et la rassurer.
J'ai l'impression de m'être battue comme une lionne pour rien, de ne pas pouvoir jusqu'au bout protéger la dignité ni l'intégrité de ma compagne ni de pouvoir la soulager jusqu'au bout.
Abattue, je hurle de douleur de colère et de déception de ce monde inhumain»
Ce cas, parmi tant d'autres, ne devrait pas exister chez nous, en France. Vous ne pouvez certes vous occuper de ce genre de détail, pas plus d'ailleurs que Madame Rossignol, votre ministère étant si lourd. Cependant, je pense (et mes amies de notre communauté également) que ce type d'information pourrait contribuer à vous ouvrir les yeux. Pour l'instant, comme il est dit en début de ce message, nous diffusons à un maximum de site. C'est le seul moyen que nous avons trouvé. A vous de voir ce que vous pourrez faire de ce témoignage dont l'adresse mail de l'auteur est en copie.
Merci de votre attention,
Bien cordialement
Odile H.
LA PAROLE AUX AIDANTS
Comment gérer au quotidien la relation de l'aidant vers la personne aidée, souvent en état de dépendance? Comment faire en sorte que l'aidant ne s'épuise pas? Des conseils et , initiatives et retour d'expériences sont recensés dans cette rubrique. La parole est également donnée aux aidants afin qu'ils partagent le quotidien de leur vie d'aidant.