Changer le regard sur les aidants...
J'emprunte cette expression du « changer le regard » à la ministre Michèle Delaunay. Les commentateurs et journalistes réaliseront avec le temps à quel point son intuition et sa capacité d'écoute auront marqué son passage et la loi d'adaptation de la société au vieillissement. Les 9 millions d'aidants savent très bien ce que veut dire cette phrase. Les 9 millions d'aidants savent très bien ce qu'ils apportent à la collectivité, ils savent que sans eux le système de soins ne serait plus tenable, et regrettent que trop souvent, les journalistes, les médias les représentent sous une forme trop timide : pourtant, 9 millions de personnes, 10 milliards d'heures annuelles consacrées à un proche malade, ou handicapé ou dépendant en raison de son âge, cela compte !
Les entreprises aussi doivent changer le regard sur « leurs » aidants...
Les entreprises doivent aussi changer leur regard sur les aidants. 14% des salariés dit-on sont en même temps aidants, et cette proportion monterait autour de 20% pour la classe d'âge 50-65 ans. Des articles paraissent sur « l'absentéisme » des aidants, et maintenant sur le « présentéisme » des aidants. Des « conseils en ressources humaines » proposent aux entreprises de les aider pour « prévenir l'épuisement de leurs salariés aidants, prévenir leur absentéisme ». Et pour faire bonne pression sur leurs interlocuteurs des Ressources Humaines, ces « experts » parlent de dizaines de milliards d'euros de « coût » pour les entreprises. Pourquoi au contraire ne pas changer le regard porté par les entreprises sur leurs salariés en mettant en avant l'apport possible de ces aidants ?
Reconnaissance et adaptation de la charge de travail
Pour changer le regard, il faut comprendre ce que vit l'aidant. Sans doute 70 à 80% des aidants qui ont une activité salariée sont dans une situation qu'ils gèrent bien encore, directement liée au nombre d'heures qui ne dépasse pas les 10/15 heures par semaine. Mais 20% des aidants, peut-être 30% sont sur des rythmes de 40 à 50 heures par semaine. Avez-vous déjà essayé de faire deux métiers de 40 heures par semaine simultanément, à 100% de vos capacités, et de trouver encore le temps de prendre soin de vous, de votre santé, de votre famille, de votre vie sociale ? L'entreprise ne pourra rien changer aux obligations et contraintes liées aux besoins d'aides que le proche demande à l'aidant. Mais l'entreprise peut faciliter « l'autre métier, celui que l'aidant fait chez elle», par la chose la plus simple du monde mais qui vaut de l'or en matière de motivation qui consiste à dire (et montrer concrètement): « Nous savons ce que vous vivez, nous vous aiderons du mieux que nous pourrons».
Une étude américaine sortira en septembre prochain sur le « parcours de l'aidant ». C'est une association américaine, ReACT, réunissant une trentaine d'entreprises industrielles et de services, des universités, des associations d'aidants, qui met en œuvre cette étude de 9 mois. L'idée : si les entreprises comprennent mieux le « parcours » de l'aidant, alors les adaptations aux aidants des informations, des modalités de flexibilité de travail, des services d'aides mis à leur disposition seront plus efficaces. Une précision qui me plait bien : l'acronyme ReACT signifie « Respect a Caregiver's Time », « Respecter le temps de l'aidant ».
1 à 2% seulement d'utilisation des services par les aidants
C'est le chiffre habituel qui ressort des enquêtes sur l'utilisation des services proposés par les entreprises à leurs salariés aidants, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Canada ou encore en France. C'est un chiffre si faible qu'il doit faire réfléchir. Une des raisons peut être le mode de diffusion de la connaissance de ces aides et services en interne dans l'entreprise. Une des raisons peut en être la faible adaptation aux aidants par rapport à leurs besoins. Une des raisons peut encore en être la « peur » (elle existe pour 50% des aidants) de révéler à sa direction ou aux responsables des Ressources Humaines sa situation d'aidant.
Confier aux salariés aidants le soin de s'organiser entre eux au sein de l'entreprise?
Changer le regard prend évidemment du temps. Il faut donc saluer les initiatives d'entreprises. Par exemple, cette initiative en cours consistant à créer une « communauté » interne d'aidants, cette communauté faisant office de premier soutien aux aidants qui en ont besoin : informations sur les droits et facilités qui existent au sein de l'entreprise, numéros utiles à contacter et recommandations des aides à domicile ou des services qu'ils ont utilisé avec totale satisfaction. Avantages : chaque aidant a le souci d'aider un « pair », il y a la crédibilité de ce qui est dit par un « pair déjà passé par là », le gain de temps pour les DRH est direct, l'alimentation par cette communauté d'aidants de l'actualité « aidants » est plus ciblée et conséquente, etc.
Une autre initiative en cours dans une autre entreprise consiste à faire appel à des collaborateurs aidants pour mettre au point les modules de sensibilisation destinés au management et co-animer avec un formateur les sessions: comprendre l'aidant, valoriser ses talents, montrer le type d'empathie attendu par l'aidant, etc. Une société, c'est le Crédit Agricole Assurances, vient de faire réaliser par ses collaborateurs aidants une première brochure interne, « Guide de l'aidant salarié», qui regroupe les différents points principaux à connaitre par les aidants et les aides spécifiques prévues pour eux, les interlocuteurs internes.
Trois initiatives que toutes les entreprises pourraient prendre en considération et qui valorisent directement quelques une des facettes que les salariés aidants peuvent apporter à leur entreprise.
JFF, aidant, actuaire et formateur
LA PAROLE AUX AIDANTS
Comment gérer au quotidien la relation de l'aidant vers la personne aidée, souvent en état de dépendance? Comment faire en sorte que l'aidant ne s'épuise pas? Des conseils et , initiatives et retour d'expériences sont recensés dans cette rubrique. La parole est également donnée aux aidants afin qu'ils partagent le quotidien de leur vie d'aidant.