L'ère du « tout-EHPAD » touche à sa fin. Avec la volonté des pouvoirs publics de privilégier une « approche domiciliaire » du grand âge pour répondre aux attentes d'une majorité de seniors de bien vieillir chez eux mais aussi pour limiter le coût de la dépendance pour les finances publiques (24 milliards d'euros par an), la donne commence à changer. C'est d'autant plus vrai que le nombre de personnes âgées dépendantes va exploser entre 2030 et 2045 pour doubler d'ici 2060. De quoi ouvrir la voie à des parcours hybrides (maintien à domicile, hébergements intermédiaires et séjours plus ou moins longs en maison de retraite). De nouveaux parcours dans lesquels les acteurs du domicile jouent incontestablement un rôle croissant avec des interventions plus lourdes, plus longues et aussi bien plus nombreuses. Pour autant, l'évolution de l'activité est variable selon les catégories d'opérateurs. Le chiffre d'affaires des SAAD (structures de services d'aide à domicile) devrait ainsi s'apprécier de 5% par an en moyenne entre 2019 et 2022, selon les calculs des experts de Xerfi Precepta. Avec la transformation du CICE en baisse de charges et en l'absence de refonte de leur système de tarification, leurs marges risquent toutefois de se dégrader dès 2019. Pour les SSIAD (services de soins infirmiers à domicile), l'avenir dépendra de leur tarification. En cas de statu quo, les créations de places en SSIAD seront uniquement envisagées par des structures sanitaires désireuses de fluidifier leurs prises en charge et bon nombre d'établissements se transformeront en SPASAD (services polyvalents d'aide et de soins à domicile) pour combiner soins infirmiers et à domicile (et ainsi être rentable). Pour les structures d'HAD (hospitalisation à domicile), le futur s'annonce lui très porteur. Grâce aux nombreuses évolutions réglementaires, le marché de l'HAD bondira en effet de 7% par an en moyenne d'ici 2022 pour dépasser 1,4 milliard d'euros, pronostiquent les experts de Xerfi Precepta.
Parallèlement à la transformation du parcours type des personnes âgées, les acteurs présents dans les activités du domicile changent de visage. Longtemps portée par un grand nombre de petits acteurs publics et privés à but non lucratif, les acteurs privés ont réalisé une franche percée. Ils sont aujourd'hui à la tête de près de 20% des SAAD et des structures d'HAD. Outre plusieurs dizaines de réseaux privés et plusieurs centaines d'entreprises indépendantes œuvrant au domicile, le marché a également été investi par des groupes privés issus de la dépendance. Orpea et Colisée ont ainsi chacun mis la main sur deux réseaux d'aide à domicile, tandis que Korian vient de se positionner sur ce créneau. Contraints d'accélérer le turnover de leurs patients en court séjour, les géants de l'hospitalisation privée sont également sur les rangs. L'un des principaux exploitants de cliniques en France, MédiPôle Partenaires (Elsan) a ainsi créé une filiale dédiées aux services d'aide à domicile pour faciliter le lien entre le domicile et ses établissements.
En somme, les services à domicile sont désormais stratégiques pour bon nombre d'acteurs intervenant de près ou de loin auprès des personnes âgées, que ce soit pour capter des flux ou pour créer des synergies avec le cœur de métier. Et malgré une rentabilité modeste (en raison d'une tarification inadaptée ou d'une structure de coûts très lourde), tout laisse penser que le domicile va encore susciter bien des convoitises. Dans un schéma d'organisation des soins qui donnera la priorité au domicile, il y a en effet fort à parier que les pouvoirs publics engagent une refonte des modèles de tarification des activités du domicile pour soutenir leur essor.
Les géants de la dépendance en embuscade...
Cette évolution des parcours résidentiels possibles des seniors met forcément à mal le modèle d'affaires des exploitants d'EHPAD. Elle est en revanche une aubaine pour les géants de la dépendance qui ne manquent pas d'atouts pour s'imposer sur le marché. Compte tenu de leurs portefeuilles d'activités très diversifiés (SSR, EHPAD et activités à domicile), ils peuvent en effet constituer à eux seuls des « guichets uniques » pour personnes âgées. Ils peuvent également recruter et fidéliser des salariés grâce à l'attractivité de leur marque employeur, alors même que les besoins de main d'œuvre au domicile vont aller croissant. Enfin, ils ont l'habitude de recourir au numérique pour rationaliser et optimiser leur process et sont en mesure d'élaborer des solutions digitales globales pour fluidifier le parcours de soins.
Pour se renforcer dans le domicile, ces acteurs procèdent à des acquisitions, à l'image du rachat de Petit-fils par Korian, et/ou capitalisent sur les ressources de leur immense parc de maisons de retraite pour proposer un large ensemble de prestations à des personnes vivant à leur domicile.
... et des acteurs historiques sur le point d'être marginalisés
Cette reconfiguration du jeu concurrentiel autour des géants de la dépendance pose la question de la survie des réseaux spécialisés dans le maintien à domicile (Age d'Or Services par exemple) et des réseaux généralistes (comme O2). A la faveur d'un modèle d'affaires éprouvé, d'une taille critique pour la plupart d'entre eux et d'une bonne visibilité, les premiers ont encore une carte à jouer. Mais face aux géants de la dépendance, ils doivent encore développer leur parc à moindre frais en recourant à la franchise et nouer des partenariats avec des structures pourvoyeuses de flux (EHPAD ou cliniques SSR indépendantes par exemple). En raison de leur manque d'expertise et faute d'une culture médico-sociale, les généralistes risquent en revanche d'être évincés de l'aide aux personnes âgées. Dans ces conditions, ils n'auront pas sans doute pas d'autre choix que de se recentrer sur leurs autres activités au domicile (ménage, repassage, garde d'enfants...).
Auteur de l'étude : Cathy Alegria
Data Senior : Chiffres et Seniors !
Trouver des ressources et chiffres clés autour du thème des personnes âgées et des seniors : statistiques, sondages, études...