La Fondation de France publie aujourd'hui son 10ème rapport annuel sur les solitudes. Réalisée par le CRÉDOC, juste avant le début de la crise sanitaire, cette étude montre une forte augmentation de l'isolement relationnel1 au sein de la population française au cours des dix dernières années : la solitude touche aujourd'hui 7 millions de personnes, soit 14 % des Français, contre 9 % en 2010. Cet isolement concerne d'abord les personnes âgées et les catégories sociales les moins aisées, mais touche de plus en plus toutes les catégories de population. Un focus réalisé durant le premier confinement montre par ailleurs les conséquences du contexte de distanciation sociale sur l'isolement et son ressenti. Pour lutter contre ce phénomène et restaurer le lien social, la Fondation de France accompagne chaque année près de 1000 initiatives. L'enjeu : s'attaquer aux multiples causes de la solitude et revitaliser le lien social pour rendre à ces « isolés » toute leur place dans la société.
Les solitudes : de 2010 à 2020, les principaux enseignements
« Situation d'isolement » signifie qu'ils n'entretiennent que des relations très épisodiques (quelques fois dans l'année ou moins) avec les membres des cinq principaux réseaux de sociabilité (familial, professionnel, amical, affinitaire ou de voisinage).
Les personnes isolées connaissent des conditions de vie plus précaires que la moyenne des Français. Ils sont 12 % à déclarer être au chômage contre 7 % pour l'ensemble de la population. Ils disposent plus souvent de bas revenus (32 % des isolés contre 25 % des non isolés en 2020) et 16 % d'entre eux déclarent appartenir aux classes les plus « défavorisées » (contre 7 % des personnes non isolées).
Les seniors ont un nombre réduit de réseaux actifs, mais ils surinvestissent le réseau affinitaire en comparaison avec les autres tranches d'âge (en 2020, 61 % des plus de 75 ans font partie d'une association ou d'un groupe affinitaire, contre 53 % en moyenne pour le reste de la population). Une
personne âgée sur trois n'a que les relations de voisinage comme réseau de sociabilité, un réseau qui a
tendance à s'affaiblir.
Ils n'étaient que 2 % en 2010. Cette hausse s'explique en partie par la paupérisation croissante des jeunes - les 18-29 ans constituent la classe d'âge la plus pauvre - qui va de pair avec le creusement des inégalités constaté ces dernières années. De plus, pour les jeunes isolés, cette situation génère un sentiment de honte, lié au décalage par rapport à l'attendu social pour cette tranche d'âge : l'ouverture à de nombreuses opportunités de sociabilité.
51 % des personnes isolées en situation de handicap ou souffrant d'une maladie chronique limitent certains contacts avec leurs proches par crainte d'être un poids pour eux (contre 27 % de l'ensemble de la population - chiffre 2018). Une situation qui se transforme en cercle vicieux : la maladie ou le handicap sont sources de fatigue, voire de souffrance, et réduisent bien souvent la mobilité. Ces deux facteurs induisent de fait une réduction du potentiel de sociabilité et entraînent un repli sur soi qui
alimente aussi l'isolement.
Entre 2016 et 2020, la part de personnes disposant de hauts revenus en situation d'isolement passe de
6 % à 11 %, rejoignant ainsi le taux des classes moyennes supérieures.
Si le réseau amical reste le plus actif (58 % des Français voient leur amis plusieurs fois par mois), le réseau familial est le seul qui prend de l'ampleur : en 2020, 55 % des Français voient régulièrement leur famille (hors membres du foyer) contre 47 % en 2016. Ce réseau est particulièrement important pour les femmes, puisqu'elles sont 27 % à voir des membres de leur famille (en dehors du foyer) au moins une fois par semaine, contre 22 % des hommes.
n'entretiennent de relations soutenues qu'avec un seul réseau, proportion semblable à celle de 2010. Un seul réseau les sépare donc de l'isolement, et celui-ci peut disparaître suite à un accident de la vie (décès, divorce, licenciement, maladie..). Ces personnes « mono-réseaux » se trouvent donc dans une situation d'isolement potentiel. Elles aussi font de plus en plus appel à leur famille : leur réseau familial est aujourd'hui leur première source de sociabilité, alors qu'il se trouvait en troisième position en 2016.
femmes souffrent plus de l’isolement : en 2020, 14 % des femmes se trouvent en situation d’isolement relationnel. Un isolement qu’elles vivent plus mal que les hommes : une femme sur quatre déclare se sentir « tous les jours » ou « souvent » seule (23 % en moyenne) contre 16 % des hommes et plus d’une femme sur trois se sent régulièrement abandonnée, exclue, inutile, ce qui n’est le cas que pour un homme sur cinq. Cette différence de ressenti peut venir du fait que l’isolement est socialement moins toléré chez les femmes : le fait d’être peu entouré est associé, chez l’homme, à un signe d’indépendance, alors que pour une femme, cela renvoie à un échec.
Leur santé apparaît également plus fragile : un tiers des femmes isolées qualifient leur état de santé de « peu ou pas satisfaisant », et trois sur dix ont connu un état dépressif au cours du mois précédant l’enquête. Plus pessimistes, un quart d’entre elles pensent que leurs conditions de vie vont beaucoup se détériorer dans les cinq prochaines années, contre 21 % des hommes isolés.
4 femmes isolées sur 10 (41 %) disposent de bas revenus2. C’est nettement plus que les autres femmes ou que les hommes isolés. Si la corrélation entre précarité et isolement est établie pour l’ensemble des personnes isolées, elle est nettement plus forte encore chez les femmes que chez les hommes, et met en lumière les inégalités de genre sur le plan économique et social.
2 Les « bas revenus » (26% de l’échantillon) correspondent à moins de 70% de la médiane des revenus, soit, au sens de l’INSEE, un revenu mensuel inférieur à 1 096 euros.
La solitude est moins douloureuse quand elle est partagée par tous
Bien qu’elles disposent de revenus inférieurs et de logements plus petits que la moyenne de la population, les personnes isolées déclarent pourtant avoir mieux supporté les deux premiers mois du confinement que la moyenne des Français. Déjà isolées avant le confinement, cette période et ses contraintes semblent les avoir moins perturbés.
Alors que la moitié des personnes non isolées (48 %) indique que les contacts avec la famille sont la forme de sociabilité leur ayant le plus manqué, seules 36 % des personnes isolées partagent cette opinion. Pour près d’un quart d’entre elles, aucune des interactions sociales ne leur a manqué (contre 9 % des personnes non isolées). Pour 24 % (vs 11 % de celles non isolées), le confinement n’a eu aucun impact sur leurs déplacements (hors contexte professionnel) car elles ne sortaient déjà que très peu ou pas du tout. A contrario, étant moins qualifiées que la moyenne des Français, les personnes isolées étaient nombreuses à exercer des métiers dits « de seconde ligne ». Plus que la moyenne de la population française, les personnes isolées ont donc continué à exercer leur travail et à s’y rendre physiquement. 41 % des personnes isolées qui exerçaient un emploi avant le confinement ont continué à se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail (contre 34 % des actifs occupés non isolés). Des déplacements extérieurs quotidiens qui ont permis de mieux vivre cette période.
Les restrictions des interactions sociales qui ont régi les deux mois de confinement ont pu être vécues, pour les personnes isolées, comme une période de répit, une manière de « mettre sur pause » quelques-unes des injonctions sociales auxquelles elles ne répondent pas.
La crise sanitaire génère un risque important d’accroissement de l’isolement
Les personnes isolées apparaissent particulièrement préoccupées par leur avenir. En avril 2020, 28 % d’entre elles se disent inquiètes pour leur situation dans les trois ans à venir, contre 22 % du reste de la population. Et 28 % se déclarent préoccupées par le risque du chômage, soit 10 points de plus qu’en janvier 2020. De fait, la forte hausse du chômage déjà amorcée et la corrélation établie entre précarité, chômage et isolement pointe un risque majeur d’une augmentation de l’isolement relationnel objectif dans un contexte de crise sanitaire qui se poursuit.
Par ailleurs, lors du premier confinement, les outils d’échanges virtuels ont été pour 48 % des Français un outil de remplacement des liens physiques. Pour les personnes isolées, ce « refuge » virtuel s’est avéré beaucoup moins essentiel : 25 % d’entre elles ont déclaré y avoir eu recours. Ces observations révèlent que les outils numériques agissent plutôt comme un amplificateur des tendances qu’une solution de substitution.
D’autres études montrent que les premiers mois de confinement ont renforcé chez les personnes isolées le sentiment d’être des personnes « ratées ». Cette dégradation de la perception de soi induit une baisse de la confiance en soi, qui fragile de fait les conditions de possibilité du lien social.
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